HervE FaYEL, ECRITS > LA BÊTE DOUCE > JARDINS D'AIR

PEINTURE PAS MORTE (1995- 2015)

« Une caverne noire est notre mutisme
D'où sort parfois une bête douce. »
Georg Trakl.

Les décennies que nous vivons ressemblent à un jour gris pour la peinture. Un jour gris sur lequel glisse le flash d'une avant-garde, puis d'une autre. Faux soleil. Reflet qui poisse à la surface d'un paysage asphyxié.
           L'avant-garde est cannibale. Chacune se nourrit de la précédente sans qui elle n'aurait pourtant pas pu exister n'ayant rien sur quoi prendre pied pour s'y opposer. Fuite en avant.
           « A la fin tu es las de ce monde ancien.» dit l'Apollinaire. Aujourd'hui, nous sommes las de ce monde qui se veut si moderne, factice . Un monde où les artistes seraient réduits à entériner les prescriptions des avants-gardes (ou plutôt pseudo avant-gardes : le mot s'abolissant de lui-même lorsqu'il est utilisé de façon inflationniste).
           Et ces vagues successives d'avant-gardes suscitées par les marchands et l'institution culturelle (historiens , penseurs etc .) depuis que tant d'artistes ont accepté de chanter la chanson des autres et non plus la leur , ces vagues occupent tout l'espace.
            C'est la logique du pouvoir.
Quel espace nous reste-t-il ?
Il n'y a pas de place pour nous.
Tout comme ces irlandais qui, se voyant refuser par les colonisateurs anglais un terrain sur leur sol pour se construire une église, fabriquaient des autels sur des charrettes et allaient célébrer leur culte au bord de l'océan sur l'espace de la place découvert par la marée basse. Cet espace n'appartenant à personne était le seul dont on ne pouvait leur refuser la jouissance intermittente.
Ce terrain virtuel cette zone cadastrée, cette espace mi-terre mi-eau nous l'adoptons comme quartier général pour pratiquer cette chose – poésie ou peinture – si bien par Roberto Juarroz : « Sans concentration, silence et solitude il ne peut pas y avoir de poésie. Rien n'exige une aussi grande fidélité, pas même l'amour et la religion. Tout cela néanmoins ne suffit pas : ces conditions sont externes. Il manque l'autre, la condition interne : la culbute dedans vers l'inconnu, le non-évident où ineffable ; la métamorphose radicale vers le centre de la réalité ; la consommation de quelque chose qui équivaut à un nouveau sacrement dans l'océan sans rivage des formes. »
Un proverbe Chan dit : « ce qui ne devient pas est à l'origine de ce qui devient »
« Celui qui ne marche pas au pas entend le son d'un autre tambour » dit un autre proverbe des indiens d'Amérique du nord
« Réduis de distance tu habites ce que tu es dans l'oubli de ce que tu possèdes » écrit André Blatter.
Alors, toujours, je peins :
Bourru
Comme un vieil animal
Qui place son point de fuite
À l'intérieur de lui-même,
Dans le creux de sa main
Dans la prise du pinceau,
Dans la rumeur qui monte... indistincte,
Geste raclé qui puise, profond et dépose frais et urgent.

Mon propre aplomb pour ligne d'horizon.